LE PIT BULL, LE CROCODILE ET LA TORTUE ( partie 2 )

Publié le par leblogdeterry.over-blog.com

Jueves -

 

5h du matin : Petit surf quasi seul à l’eau avec un local qui m’annonce des grosses vagues pour bientôt, pas trop tôt je me dis et grisé par la nouvelle je pars sur une très belle gauche qui n’arrête pas de dérouler et m’emmène au fin fond de l’estuaire. Ne suis-je pas une fois de plus allé trop loin ? Je suis plus dans la rivière que dans l’estuaire. Je me méfie des légendaires crocodiles de l’estuario et je prends quelques droites pour revenir vers la plage. L’océan est glassy ce matin, pas de vent, pas d’écoles de surf en vue, il y a un bon mètre, je reste très longtemps à l’eau, dans une ambiance décontractée, pas trop de monde, surfer une belle droite, remonter au peek, surfer une nouvelle belle droite, remonter à nouveau au peek… Je croise  le roi du spot, le local qui ressemble à Diego Forlan, il me demande « good surf » ? Je lui réponds en souriant  » yes cool surf ! » et il me sourit.

La magie du surf c’est aussi ces petits moments à la con où on se sourit d’un air entendu entre surfers ….

 

Dans la journée ballade avec Cool Girl à Playa Grande, c’est la fameuse plage qui est de l’autre côté de l’estuaire de Tamarindo, c’est un site protégé car les tortues « luth » , des mastodontes qui peuvent atteindre 400 kilos  font depuis des millénaires des allers-retours sur cette plage pour  donner naissance à des baby tortues luths.

Une minute pour traverser la rivière et tu changes de monde : adieu Tamarindo, adieu Sodome et Gomorre, tes immeubles surgis de nulle part, adieu folie de la ville, voilà le sanctuaire, où le surf y est  notoirement plus agité, la mer est belle, d’ un bleu « hossegorien », les planches et les maillots  multicolores sont de sortie, sur la petite dune derrière la plage on devine les mangroves, les caïmans, les toucans, les tapirs tapis dans les sous-bois ….

La plage est restée aussi belle que dans mes souvenirs, j’y retrouve mon coquillage préféré, un coquillage rond et plat au centre duquel dame nature a dessiné une sorte de fleur, j’adore ce coquillage, il y a dix ans j’en avais ramené quelques uns en France, maintenant que je suis devenu bien malgré moi un adulte je me contente de le photographier et je lui laisse vivre sa vie de coquillage sur les plages du Costa Rica, c’est pas la belle vie çà ? Coquillage au Costa Rica ?

Faudra que j’y réfléchisse pour ma réincarnation, même si mon animal préféré reste le pélican comme celui qui est en train de passer nous mon nez, majestueux, impeccablement placide, un animal qui vol, qui marche, qui semble surfer parfois tellement il frôle les vagues, qui nage sous l’eau et qui bouffe du poisson toute la journée, bon je m’égare faut pas me brancher sur les pélicans, ça me rend anormalement lyrique.

 


 

On aimerait bien voir des tortues sur cette longue plage, beaucoup de surfers à l’eau, mais pas une tortue, de qui se moque-t-on ? Arrivés tout au bout de la baie on se rend compte qu’il y a des villas dans le Parc National, en bord de mer, comment cela est-il possible ? Les tortues doivent se balader dans leur jardin, je ne comprends pas comment ce développement effréné peut venir s’immiscer au cœur même de ce qui devrait rester un sanctuaire. Les lois de l’argent, de la politique sans doute.

Le résultat c’est que dans les années 90 on estimait qu’environ 1000 tortus luths fréquentaient la plage, ce chiffre est tombé à 49 lors du dernier recensement en 2004 : 49…

Ainsi les habitudes millénaires de ces tortues sont en train de disparaître et les guides du parc en sont réduits à placer des œufs en couveuse pour les aider à éclore …

Le Costa Rica a pourtant longtemps été exemplaire, 80% du territoire national est protégé, il y a de nombreux Parcs Nationaux, pas d’armée, des jeunes et des vieux qui disent  » pura vida  » toute la journée. Comment peut-on faire construire des villas au coeur de ce site unique au monde ?

Je suis triste.

 


 

Sur le chemin du retour la marée a bien descendu et soudain on la voit au loin, à mi-chemin entre la dune et la mer, une tortue ! Je suis trop content, je me précipite, c’est un animal vraiment magnifique, je me rappelle de ce moment magique lors de mon premier voyage au Costa Rica quand en surfant à Playa Avellanas le spot de  » Pequino Hawai » j’avais vu dans la transparence d’une vague une tortue qui semblait jouer avec le courant , comme si elle voulait se caler dans le tube de la vague, j’avais vu subrepticement son ventre rayé et les membrures de ses nageoires, qui formaient des dessins, comme une peinture rupestre, et la vision de cet animal préhistorique jouant dans les vagues ne m’a depuis jamais quitté, climax d’une journée de surf incroyable où je m’étais régalé seul à l’eau pendant des heures. Sur la plage ne m’attendait que la serviette bariolée de mon enfance, une bouteille d’eau et  » Cent ans de solitude » de Garcia Marquez , à l’époque je surfais tous les jours du matin jusque au soir, alternant sieste sur la plage, surf, lecture, sieste, surf, un seul but alors, essayer de prendre des tubes en me jetant sous la lèvre de la vague.

Aujourd’hui je surfe le matin et le soir et entre ces sessions je me ballade main dans la main avec Cool Girl…

 


 

Mais je m’éloigne, revenons à notre tortue, échouée sur la plage, nous qui rêvions de voir une tortue, fou de joie en la devinant au loin, on se rapproche, c’est l’heure de la sieste je me dis dans un premier temps, intrigué tout de même qu’une tortue se fasse un petit somme en plein après-midi, sous ce soleil de plomb, elle dort quand même drôlement profondément, et puis soudain je comprends la triste réalité : she is fucking dead !

 


 

Normalement les tortues débarquent pendant la nuit sur la plage, elles rejoignent la dune pour pondre dans les fourrés, c’est là qu’elles enterrent leurs œufs et elles repartent vite fait bien fait dans l’océan parce qu’elles n’ont pas que ça à faire. Malheureusement parfois elles peuvent être désorientées par les dérèglements climatiques ou les lumières de la « ville », la nuit, des fameux immeubles de Tamarindo où des maisons de Playa Grande qui n’ont rien à faire là, les flash des touristes aussi parfois même si c’est interdit, et nos tortues sont toutes déstabilisées, elles peuvent se perdre où être suffisamment jet-lagués pour descendre de la dune en plein après-midi et là c’est le drame parce qu’à midi sur la plage à marée basse il fait aussi chaud que dans le désert de Gobie et la tortue meurt d’épuisement en essayant de rejoindre la mer.

Normalement les locaux aident les tortues à redescendre mais s’il n’y a personne …

C’est ce qui s’est passé aujourd’hui, ce que nous confirme un allemand en short et en vélo qui vit dans le coin, il décrète qu’il n’y a plus rien à faire pour elle …

Notre tortue est morte d’avoir voulu donner la vie, on se sent impuissant à côté du corps inanimé de cette merveille, les gens du parc national vont venir la chercher.

On retraverse la rivière un peu perdus, pas de surf ce soir là.

Fucking triste.


 

 

Viernes -

 

Le lendemain matin à 5 h je suis seul à l’eau. C’est brouillon et costaud dans l’estuaire, je pars sur des grosses droites qui ferment assez vite. Sur la plage des californiens promènent leurs chiens en faisant du footing. Je les vois bien parler yoga, bio, community.

Pourquoi je suis seul à l’eau ?

A une cinquantaine de mètres de moi un gros truc sort de temps à autres la tête de l’eau, je n’arrive pas à voir ce que c’est : tortue, crocodile, dauphin, requin ?

Je ne vois rien, dans le doute et en pleine paranoïa je sors de l’eau. Je traine un peu sur la plage, rêveur, je me fais bouffer par les puces de sable, la journée commence mal.

Ballade dans Tamarindo, il pleut des cordes, c’est la saison « verte » comme ils disent aux touristes pour éviter de leur dire plus cruellement « la saison des pluies ».

Normalement au mois d’Aout c’est le « little summer », une parenthèse enchantée au milieu des trombes d’eau mais pas cette année : végétation luxuriante, pâturage verdoyants, iguanes, lézards verts fluo, papillons bleus et jaunes, colibris, pélicans, rapaces, grenouilles et crabes multicolores sont copieusement arrosés par des trombes d’eau …

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